Le Grand Machin — Partie 1 : Le sommet de la montagne
- Clément Marceau
- 21 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 juil.

Il y a des questions qu’on ne choisit pas. Elles nous choisissent. Elles surgissent dans le silence entre deux pensées, dans une nuit sans sommeil, dans une forêt qui nous dépasse. Elles n’appartiennent à aucune discipline. Elles sont plus anciennes que nos croyances, et plus vastes que nos réponses. Elles sont des vertiges.
Et l’un de ces vertiges, le plus fondamental peut-être, est celui-ci :
Quel est le point commun à toutes les visions du monde ?
Un fond. Une source. Quelque chose qui, bien qu’invisible, soutiendrait toutes les formes. Si oui, qu’est-ce que c’est ? Et surtout : comment l’approcher ?
À la recherche du sommet commun
Nous vivons dans un monde de croyances fracturées. Les philosophies, religions, cultures et systèmes de pensée semblent souvent s’opposer, s’exclure. Mais toutes, sans exception, prennent racine dans une expérience fondamentale : Il y a quelque chose plutôt que rien. Et j’en fais partie.
C’est cette expérience d’être qui précède la pensée, la parole et même l’identité. C’est le fait brut d’exister, d’être là, ici, maintenant.
La philosophe Simone Weil écrivait : « L’attention absolument pure est prière. »Ici, pas de dogme. Juste l’ouverture à ce qui est.

Traditions philosophiques : six chemins vers le même sommet
1. Le Zen (Bouddhisme Chan japonais) : « Quel était ton visage originel avant ta naissance ? »
Le Zen pousse à l’extrême l’abandon de toute conceptualisation. Il ne cherche pas une vérité théorique mais un retour immédiat à la présence pure.Dans la pratique du zazen, on ne pense pas — on s’assoit. Et dans cette assise : il y a le monde entier.
Réf. : Dōgen – Shōbōgenzō ; Alan Watts – Le Bouddhisme Zen.
2. Advaita Vedānta (non-dualité hindoue) : Tat Tvam Asi — « Tu es Cela. »
Ici, le sujet, l’objet et la conscience sont vus comme une seule et même réalité : Brahman, la conscience pure et indivisible. L’expérience individuelle (le soi) est une illusion temporaire. Il ne s’agit pas de croire, mais de réaliser intérieurement cette unité.
Réf. : Shankara – Commentaires sur les Upanishads ; Jean Herbert – Spiritualité hindoue.
3. La physique quantique et le rôle de l’observateur : « La réalité dépend de l’observateur. »
Des interprétations comme celle de Copenhague (Bohr) ou l’expérience du chat de Schrödinger ont montré que l’acte de mesurer influence ce qui est mesuré. L’observateur fait donc partie intégrante du système, remettant en cause l’objectivité absolue.
Réf. : Carlo Rovelli – Helgoland ; Fritjof Capra – Le Tao de la Physique.
4. Les cosmologies indigènes: « Le monde est un réseau de relations. »
Dans de nombreuses traditions amérindiennes, aborigènes ou africaines, tout est relation : humains, animaux, esprits, lieux, ancêtres. Il n’y a pas de séparation rigide entre soi et le monde. Le réel est un tissu vivant.
Réf. : Robin Wall Kimmerer – Braiding Sweetgrass ; David Abram – The Spell of the Sensuous.
5. Le Taoïsme : « Le Tao que l’on peut nommer n’est pas le Tao éternel. »
Le Tao est l’ordre fondamental de l’univers, invisible mais agissant. Le sage ne cherche pas à maîtriser mais à s’aligner. L’unité est déjà là — c’est le mental qui divise.
Réf. : Lao Tseu – Tao Te Ching ; Zhuangzi – Écrits taoïstes.
6. Les neurosciences contemplatives
Des recherches sur la méditation et la conscience montrent que le “soi” est un processus malléable, en grande partie créé par le cerveau pour structurer l’expérience.Mais au fond, ce qui reste, c’est un état de conscience témoin — celui qui observe sans juger.
Réf. : Sam Harris – Waking Up ; Francisco Varela – L’inscription corporelle de l’esprit.

Le noyau commun des grandes religions
Malgré des différences apparentes, les traditions religieuses parlent toutes d’un principe au-delà de la forme, au-delà de la pensée, souvent nommé différemment :
Et moi, là-dedans ?
Face à tout cela, il reste une voix, plus fragile, mais honnête : la mienne.
Quand j’entre en résonance avec toutes ces approches, quelque chose en moi se tait. Pas parce que je sais, mais parce que je sens. Je ne crois pas à une vérité unique. Mais je ressens une vérité vivante, qui se révèle par fragments, dans l’écoute, dans la respiration, dans l’attention pure. Peut-être que la conscience n’est pas là pour savoir, mais pour éprouver.Peut-être que le mystère n’est pas un problème, mais un paysage intérieur.

Conclusion temporaire : au bord du sommet
Ce n’est pas une réponse que je cherche. C’est un lieu intérieur où toutes les réponses se taisent. Un sommet, non pas au-dessus de tout, mais au cœur de tout.
Et toi, lecteur·rice, t’est-il arrivé d’effleurer ce sommet ? D’avoir le sentiment que toutes les croyances, toutes les formes, pointaient vers la même étoile silencieuse ?




Commentaires