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Quelle journée j'ai envie de m'offrir ?

  • Writer: Clément Marceau
    Clément Marceau
  • 24 minutes ago
  • 7 min read

Ces jours ci ça secoue beaucoup de mon côté, et il y a des instants, jamais très longs mais bien présents, où je perds pied.

Space kite
Space kite

Il y a quelques années, je me sentais comme le cerf volant qui virevolte au gré des courants. Je me laissais guider par les propositions qui passaient, une bonne partie d'entre elles venant de mes partenaires et parents. Je n'avais pas à avoir de l'initiative, à démarrer des projets, ou du moins je ne sentais pas le besoin d'aller plus loin que la feuille de route, car inévitablement mes proches allaient me proposer de vivre des expériences, et j'étais loin, très loin de savoir que j'étais capable de créer les miennes propres et d'emmener les autres dedans.


En compensation, je passais des heures à m'immerger dans d'autres mondes pour moi plus désirables. Car désir de créer ma vie il y avait, mais remis à plus tard. Je n'avais aucune force vitale ni aucun exemple sous la main pour lancer quelque chose, et personne n'attendait explicitement de moi que je sorte de ma zone de confort pour être. La seule fois dont je me souviens clairement, c'est lorsque ma mère m'a poussé à faire du vélo sans roulettes. Nous étions en forêt pas loin de chez nous sur une route bitumée peu empruntée, bien droite. Je n'étais pas confiant et ma mère avait fait semblant de tenir la selle derrière moi pour que je me lance. Au bout de 30 mètres j'avais entendu sa voix bien trop loin de moi, avais tourné la tête et constaté avec effroi que j'étais seul depuis le début. La peur avait cédé la place à de la colère -"trahison !"-, puis à la surprise d'avoir réussi aussi loin tout seul sans m'en rendre compte. Elle souriait de toutes ses dents.

En dehors de ça, mes parents, pour autant que je me souvienne, ne m'avaient pas spécialement encouragé à sortir de mon monde pour en conquérir d'autres, car j'avais déjà une énorme curiosité et je retenais une infinité de détails sur un tas de choses dont ils n'avaient rien à faire. Simplement, le monde me semblait trop complexe pour que j'ose agir dessus de mon propre chef. Ils m'acceptaient tel que j'étais, et j'ai une gratitude énorme pour ça. Ils vivaient leur vie bien pleine d'action, mais je ne comprenais pas comment passer de mon monde contemplatif au leur, plus incarné. Je laissais ça pour plus tard...et "plus tard" devint des années, jusqu'à ce que la vie me mette des battons dans les roues et me force à faire quelque chose. La suite me montra qu'il en est toujours ainsi: soit je perçois les endroits où je devrai sortir du connu pour grandir et j'y vais moi même, soit je suis poussé vers la falaise jusqu'à ce que, n'ayant d'autres choix, je batte des ailes frénétiquement pour ne pas me prendre l'océan en pleine face tout en bas.

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J'ai vécu toute la première partie de ma vie environné de choses connues, que je sentais familières dans mon corps, avec le fort désir de partir connaitre autre chose, car l'expérience offerte par l'endroit me semblait trop dure pour ce qu'elle apportait. Et petit à petit, j'ai vu une partie des autres se transformer au delà de ce que nous pensions possible (c'est ce qu'on appelle grandir, il me semble). Notre culture commune ne valorisait pas les échanges profonds sur ces sujets à l'époque et je me sentais largué tout en cachant ça derrière mon ego intello.



En 2e année d'architecture à Belleville, c'est l'été. Arnaud*, le compagnons de ma mère, elle et moi sommes au resto. Je suis en train de leur expliquer qu'en réalité je ne me vois pas devenir architecte dans les conditions proposées par les agences d'architecture aujourd'hui (une infinité d'heures, en partie non-rémunérées, beaucoup de responsabilités légales, pour produire des bâtiments moches au service de la rentabilité des boites de promotion immobilière). Lui, homme pragmatique:

-Donc tu arrêtes les études ? Tu vas travailler dans quoi ?

Moi qui ne vis que dans la théorie depuis le lycée (j'ai trois années de prépa lettres derrière moi, à ce moment-là), je suis pris de court. Je réalise que lui travaille depuis ses 13 ans: il a démarré comme apprenti dans un garage, à balayer le sol pendant des heures jusqu'à ce qu'il dise au patron que soit il lui enseigne la mécanique, soit il s'en va. Il a eu sa propre entreprise, qui n'a pas survécu à la crise de 2008, et dirige alors le SAV d'une grosse concession de la région. Pour lui, étudier sans savoir ce que tu vas faire de tes connaissances ensuite, c'est une pure perte de temps. Pour moi, une manière de ne pas me confronter à la réalité jusqu'à ce qu'un événement extérieur me sorte de ma torpeur comme par magie.


Cette discussion est à l'origine de l'énergie qui m'a fait dire "Stop ! À partir de maintenant on arrête de faire semblant. On va vers la falaise, et on bat des ailes. Ça fait vraiment peur, mais je vois bien que tous ceux que j'admire pour leur réussite passent par cette foutue falaise..."



Une dizaine d'années plus tard, je suis à cette table du café où j'écris cet article sur le sens de se taper des nuits anxieuses. Une décennie de plongées dans l'inconnu pour savoir, dans les tripes, que de l'autre côté siège la paix que je cherche. Le savoir théorique est bon pour se projeter, mais n'a aucune espèce d'équivalence avec la réalité de l'expérience, n'est-ce pas. Temps pour le cortex d'intégrer cette information.


Il m'aura fallu littéralement traverser un océan plusieurs fois, ingurgiter une bonne quantité de plantes entéogènes pour les régurgiter en même temps que mes peurs, aller voir mes limites, mes faiblesses, mes hontes au fil d'une relation amoureuse d'une profondeur a priori inimaginable, oser me lancer sans savoir si ça va marcher ou si c'est du gaspillage, tout miser sur ce qui sonne juste même si la part prudente hurle que c'est pas une bonne idée, me mettre à nu à répétition devant un tas d'autres humains plus expérimentés que moi...pour sentir dans mon corps ce que se transformer veut dire. Il faut du temps, toujours plus que ce qu'on aimerait, et moins que ce qu'on crait. Il faut se questionner jusqu'à la racine, puis remonter pour mettre en pratique, et replonger.

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"Je perds pieds", ça veut dire que je traverse une vague émotionnelle et les pensées qui l'accompagnent et que mon système ne sait pas quand ça va revenir à la normale. Spoiler: Ça revient toujours.

Mais il y a des moments où le bout du tunnel n'est pas visible, car il faut prendre un virage au milieu.

C'est ça mon nouveau sport. Prendre les virages dans les tunnels.


Exemple: tu te couches trop tard après un film un peu stressant, qui a servi à compenser une journée bof. Tu te réveilles en pleine nuit, et là l'anxiété tape en plein dedans: une part à l'intérieur se met à faire la liste de tout ce qui ne va pas dans ta vie, de tous les détails pas raccord. Et la vague grandit, et tu te dis "mais qu'est-ce que je fous là ?!". Deux ou trois voix essayent de parler en même temps dans ta tête:

-Tu devrais dormir !

-Pourquoi t'es encore à Paris ? Tu sais très bien que cette ville nous fait pas du bien, qu'on veut du calme, des arbres et des sourires. Sors-nous de là !

-Comment ça se fait que t'as 35 ans et que tu coches aucune des cases d'une vie normale à cet âge-là ?!

-...

Si tu connais ça, tu vois très bien de quoi je parle.


Pour sortir du tunnel, il faut réveiller une autre part. Une part capable de prendre de la hauteur, d'arrêter de causer deux secondes pour se souvenir qu'on est dans un lit confortable d'une maison confortable et que même si tout est pas tout rose en ce moment, rien n'est vital dans ce qui se passe, et qu'on est même exactement où on s'est projeté. Putôt rassurant, comme constat, non ? Juste, on passe un tunnel, le GPS capte pas, et il va falloir pivoter la jauge de trouille pour y voir clair.


Il y a 10 ans, j'aurais passé toute la nuit à cogiter, toute la journée suivante, jusqu'à ce que je décide de changer quelque chose de drastique dans ma vie. Oui, je pourrais tout envoyer valser et courir me réfugier dans un ailleurs où je troquerais les challenges de maintenant pour d'autres à un autre endroit. Sauf que j'aurais toujours rendez-vous avec ceux là d'une manière ou d'une autre. Lorsque j'ai fui la relation amoureuse que je ne parvenais pas à quitter et mes challenges familiaux en allant au Brésil il y a 11 ans, j'ai tout récupéré en revenant.

Que ce soit clair: à mes yeux il n'y a pas de mauvaise voie, tout comme il n'y a pas moyen de "perdre du temps" dans sa vie: on est toujours exactement là où on est capable d'être avec ses défis. Dans mes buts existentiels, il y a celui d'être en mesure de vivre tout ce qu'un être humain peut avoir à traverser. Muscler mon expérience, mon caractère et mon système nerveux pour avoir la place de sentir tout le spectre du possible. Du vide intersidéral au trop plein qui fait déborder.


Chaque friction est l'opportunité d'une libération, d'une transformation qui me laisse plus souverain, moins réactif, plus intègre.


Mon sport actuel c''est donc ça: être traversé par des peurs, des angoisses, des douleurs et les regarder en face, les respirer, se rendre familiers l'un pour l'autre, jusqu'à ce que ça ne soit plus bloquant de traverser un tunnel.

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Il y a des coups de pieds au fesse, des coups de génie, des épiphanies, et puis ça redescend et la vie redevient comme avant...le temps de comprendre qu'aucune recette miracle ne fera le travail à sa place. C'est une pratique. Une itération infinie jusqu'à, sans s'en rendre compte, avoir changé de structure. Oser avancer sans carte. Quelques décennies que les humains ont cartographié toute leur planète et qu'inconsciemment peut-être l'illusion que tout est déjà dit plane et brouille nos perceptions.


Regarde en dedans. Il y a un univers à explorer, un millier d'aventures à vivre, et autant de versions de toi à expérimenter.


Et toi, quand tu te réveilles anxieux, quelle journée tu veux t'offrir ?

 
 
 
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